le parc linéaire « Le P’tit Train du Nord »
Âme de développement du Nord, Saint-Jérôme, cœur du royaume du curé Labelle, est le point de départ d’un parc linéaire et d’une piste cyclable de 200 km. Elle s’étend sur l’ancienne emprise du P’tit train du Nord jusqu’à Mont-Laurier. À ce trajet, on pourrait ajouter en direction sud les 30 km de la piste linéaire des Basses-Laurentides longeant le plus souvent la voie ferrée jusqu’à Sainte-Thérèse et Laval. À Saint-Jérôme, cette piste verte voisine le Cegep et la Polyvalente. C’est l’une des plus fréquentées en milieu urbain. On y voit de tout : cyclistes, marcheurs, coureurs, promeneurs de chiens (même si c’est défendu), planchistes et patineurs à roues alignées, personnes à mobilité réduite dans leur quadriporteur et bébés se faisant tirer ou pousser dans leur voiturette légère.
Découvrir le P'tit train du Nord
Je me rappelle. Une fois l’été dernier, parti à pied sur la piste en direction sud vers la Vieille Gare, je m’entends tout à coup des cyclistes me crier derrière moi : « Attention ! On s’en vient. On est 25. » Laissez-moi vous dire qu’en ce temps-là on se tasse. Les anciennes gares de train nord jusqu’à Mont-Laurier sont devenues des aires de repos, certaines avec douches. Comme j’habite à Saint-Jérôme très près de cette piste cyclable, permettez-moi de vous décrire l’histoire de ce « P’tit train » légendaire si fortement associé au développement Nord de Montréal.
Le curé Labelle
À Saint-Jérôme, le curé Antoine Labelle trône en statue dans le parc devant la cathédrale. Son souvenir se retrouve partout. Colosse de corps et d’esprit, colonisateur du Nord, pour les uns, ou « Roi du Nord », pour les autres, le curé Labelle – natif de Sainte-Rose de Laval – s’éteint dans un hôpital de Québec en 1891. Un peu amer, il aurait voulu pousser encore plus haut sa colonisation du Nord. Rome lui a refusé la création d’un diocèse pour Saint-Jérôme. C’était cinquante ans trop tôt… Il est devenu sous-ministre de l’Agriculture et de la Colonisation, pour s’apercevoir que les chicanes entre les bleus, conservateurs, et les rouges, libéraux, persistaient. Son chemin de fer s’est construit avec une extrême lenteur. Né en 1833, il avait 57 ans à son décès.
« Toutefois, la légende de Labelle existe déjà. Certes, il a rêvé d’un empire, mais il n’a mis au monde qu’une région », écrit Serge Laurin dans son Histoire de Saint-Jérôme (Québec, les Éditions du Gid, 2009, p. 189).
Premier train en 1876
Le premier train a assuré un service régulier Montréal-Saint-Jérôme en 1876.
L’hiver les colons souffraient d’isolement. Le chemin de fer leur apporte un approvisionnement régulier. Ils pouvaient inversement expédier leur bois de chauffage vers les foyers de Montréal.
« Le chemin de fer demeurera longtemps un atout économique majeur » pour le développement de toute une nouvelle zone du Québec, estime Luc Coursol dans une Histoire de Mont-Laurier, tome 1 (Mont-Laurier, Partographe inc., 1985, p. 131).
Le CP achète l’emprise. Au cours des vingt-sept prochaines années, la société prolonge la voie jusqu’à Mont-Laurier en 1909. Elle donne à ce circuit le nom de «P’tit train du Nord», qui va lui rester.
L’appellation est devenue légendaire, à connotation sportive, lorsque les skieurs ont commencé à prendre de Montréal le P’tit train du Nord pour aller se récréer en bravant la neige et le froid sur les pistes de Saint-Jovite, de Sainte-Adèle ou de Saint-Sauveur. L’été, ils pouvaient faire du ski nautique en se dirigeant plutôt vers les très nombreux lacs.
L’autoroute 15
C’est l’ouverture de la route 11 (devenue 117) puis la construction de l’autoroute des Laurentides – la 15 – qui drainent le Train du Nord de ses passagers. Le service est interrompu en 1960. Le CP le reprend en 1977, mais pour quatre ans seulement. Le dernier train de marchandises a roulé sur la voie en 1990.
Du rail au vélo
En 1986, le gouvernement du Québec achète l’emprise ferroviaire. Il la loue aux municipalités régionales de comté, qui mettent en place le Parc linéaire du P’tit train du Nord s’étendant dix ans plus tard de Laval jusqu’à Saint-Jérôme. La piste de plein air se prolongera ensuite jusqu’à Mont-Laurier en passant par Mont-Tremblant (village), L’Annonciation et Nominingue. Elle s’étend (si l’on inclut la partie sud jusqu’à Laval) sur 230 km, ou 142,9 milles. Son kilomètre zéro est la nouvelle Place de la Gare de Saint-Jérôme, entre le Marché et la cathédrale. (Serge Séguin, Histoire de Saint-Jérôme, p. 473)
Le train de banlieue
Saint-Jérôme s’était développée grâce au train, mais, le train disparu, le besoin de faire renaître un service ferroviaire de passagers se fait sentir pour dégager les routes. Le train de banlieue s’avère rentable entre Montréal et Blainville.
En 2006, après une tergiversation de trois ans, ce train de banlieue de l’AMT (Agence métropolitaine de transport) se prolonge enfin jusqu’à la nouvelle Gare intermodale de Saint-Jérôme. Les installations s’érigent sur l’ancien site de la compagnie Eagle Lumber.
De Glenn Miller à Félix Leclerc !
En musique, aussi ne nous étonnons pas si Félix Leclerc – venant de La Tuque – nous décrit le Train du Nord à sa façon dans une de ses premières chansons en 1950:
Dans l’train pour Sainte-Adèle
Y avait un homme qui voulait débarquer,
Mais allez donc débarquer
Quand l’train file cinquante milles à l’heure…
Paroles : Le petit train du Nord
Itunes : Le train du Nord – Le siècle d’or: Félix Leclerc – Moi, mes souliers
Cette chanson saccadée de Félix, une des rares chez lui, s’apparente à l’immortel succès big band de Glenn Miller dans un film américain sorti quelque neuf ans plus tôt :
« Pardon me boys, is that the Chattanooga Choo Choo? »
« (Yes Yes) Track 29 !.. .»
(Musique de Harry Warren et paroles de Mack Gordon. Le film était Sun Valley Serenade, d’où sont tirés aussi Moonlight Serenade et In the mood.)
Itunes: The Essential Glenn Miller – Glenn Miller
Un recommencement…
Un train, l’essor de l’auto, l’abandon du train, l’avènement de la piste cyclable, et le retour du train de l’AMT : l’histoire se répète souvent, souvent. Ici, les cyclistes reprennent les droits des wagons, et le train de banlieue… ceux des automobiles.