Masse mouvante de 1,3 milliard d’habitants, et ultra-commerçante depuis trente ans, la Chine a un objectif avoué : ravir la première place commerciale aux États-Unis d’ici à 2020. Pourrait-elle cependant cacher d’autres ambitions, en d’autres domaines, en ce XXIe siècle ? Pékin a depuis toujours la population et maintenant la puissance pour jouer sur plusieurs niveaux.
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Après l’isolement maoïste, et la rapidité avec laquelle Saddam Hussein s’est fait défaire lors de la guerre du Golfe de 1991, la Chine délaisse le Tiers Monde, trop divisé, et se range du côté des Américains pour la technologie. Elle comprend que désormais il y a les armées modernes et les traditionnelles. Elle conclut que, pour lutter de pair avec les États-Unis, il lui fallait informatiser son équipement, sa marine comme son aviation.
Elle adopte les méthodes occidentales de mise en marché, tout en restant marxiste dans son type d’administration. Pour rattraper son retard économique, elle se lie en partenariat avec les puissantes multinationales étrangères. Mais elle établit vite ses propres marques et ses brevets. Elle vend ses produits à meilleurs prix que les nôtres, malgré une récente hausse des salaires chinois. La mondialisation l’aide à reconquérir des marchés. La colonisation des Occidentaux les lui avait fait perdre au XVIIIe siècle.
L’étude de l’histoire
La Chine méthodique veut éviter les erreurs de l’histoire. Dans ses universités, elle oriente ses étudiants vers un type de recherches : analyser et détecter les erreurs à éviter pour s’épargner le recul subi par d’autres puissances dominatrices du passé. Citons le Nouvel Observateur :
« Des bataillons de jeunes chercheurs continuent de se pencher sur la façon dont les États-Unis et la Grande-Bretagne, mais aussi l’Allemagne nazie ou le Japon impérial, se sont imposés sur la scène mondiale. Ils examinent les conditions de leur puissance, mais aussi les raisons pour lesquelles les premiers sont toujours là, alors que les seconds ont été balayés [1] »
Les États-Unis et la Grande-Bretagne la fascinent en raison de la longévité de leur leadership. Les jeunes Chinois lisent Harry Potter. Ils ont perdu leur complexe d’infériorité. À la fin de mai 2010, ce pays comptait 1,1 milliard d’abonnés au téléphone, dont 796 millions au cellulaire, 306 millions au modèle fixe, en légère baisse de 2,5 % sur le passé, et 113 millions d’abonnés à Internet à haut débit [2]. L’internet relie environ 400 millions de citoyens.
La censure d’Internet
Afin d’assurer « la sécurité de l’information culturelle nationale, ainsi que la stabilité à long terme de l’État [3] », le président chinois Hu Jintao justifie la censure de Yahoo et de Google. Le régime communiste a exigé de ces deux fournisseurs qu’ils bannissent l’accès à certains sites pro démocratie pour les internautes du territoire chinois. Un Livre blanc précisera : « Sur le territoire chinois, l’Internet se trouve sous juridiction et responsabilité chinoises. La souveraineté de la Chine sur l’Internet devrait être respectée et protégée [4]. »
En Chine, 40 000 vigies surveillent le réseau Internet. Transposé aux États-Unis, cela signifierait 9785 gendarmes d’Internet pour surveiller les 318 millions d’Américains. Le président actuel de la Chine, Xi Jinping, passe pour copier le style davantage empereur que démocrate.
La défense
L’armée chinoise comportait 5,5 millions de personnes, dans les années quarante; quelque 4,5 millions, dans les années cinquante et n’en alignait plus que 2,3 millions en 2005, selon les analystes d’un site de l’Université de Sherbrooke [5]. La Chine a rationalisé le rôle de son armée. Elle prétend que ses forces n’interviendront qu’en autodéfense. Néanmoins, Elle estime qu’être à la fine pointe lui attirera davantage de respect et de succès pour discuter avec les États-Unis. Un de ceux à douter de la Chine était Donald Rumsfeld, l’ancien secrétaire américain à la Défense. Il considérait les chiffres officiels du réarmement chinois comme sous-évalués. La CIA estime que la RPC consacrerait entre 20 % et 25 % de son budget à la défense, « soit des taux comparables aux pays les plus armés du monde, comme la Syrie et Israël » [6].
Même après avoir haussé de 18 à 20 % son budget militaire pour les années 2004 à 2008, la République populaire reste très loin des sommes faramineuses consacrées à ce poste par les États-Unis. Selon l’Institut international de recherche pour la paix à Stockholm, la Grande-Bretagne en 2008 se classait au deuxième rang pour le budget de la défense, la France au troisième et la Chine venait aussitôt après [7]. Aux yeux de Jean-Vincent Brisset, la Chine reste un État encerclé : c’est-à-dire surveillé par le Japon, Taïwan, les Corées, l’Inde, le Pakistan, l’Indonésie et la Thaïlande [8]. La Chine se veut « l’atelier du monde [9] ».
Pas de « Guerre des étoiles »
Non seulement elle refusera de se laissera entraîner dans une course aux armements avec les États-Unis. Elle pressent que ce serait, pour elle, une funeste culbute dans un précipice, sans parenté avec son Grand bond en avant des années cinquante (où on louait comme le bricolage du siècle tous les moindres petits hauts-fourneaux réalisés dans les arrière-cours). À son avis, la Guerre des étoiles « est l’une des principales causes, sinon la seule, de la disparition du régime communiste en URSS » [10].
Trois constantes guident Pékin dans ses interventions :
- armer les rebelles partout,
- bannir les inspections internationales trop contraignantes (Iran), et
- refuser qu’on impose à un pays quelque solution.
La Chine a désavoué l’action de l’ONU au Kosovo dans les années 95. Elle craignait que ce précédent se retourne contre elle au Tibet, si jamais cette région réclamait son indépendance par référendum.
Taiwan
Face à la Chine, un seul problème de territoire subsiste, c’est-à-dire Taïwan : « l’île-province » (ou l’île-État, préfèrent dire les Taïwanais), qui ne doit son autonomie qu’à la présence de la VIIe Flotte américaine naviguant près de ses côtes. Ses 33 millions d’habitants vivent confortablement de l’exportation de 90 % de leurs produits manufacturés. En 2007, Taïwan a demandé son admission à l’ONU. Elle a essuyé un refus. Depuis 1971, l’ONU applique le principe d’une seule Chine, soit depuis le remplacement de la République de Chine (Taïwan) par la République populaire (continentale) de Chine au siège permanent du Conseil de sécurité. Le régime nationaliste de Tchang Kaï-shek se réfugie dans l’île de Taïwan après sa défaite par Mao en 1949. Il continue à représenter la Chine parce que la Chine communiste n’est pas reconnue.
Le Canada sous le premier ministre Trudeau en 1970 fut l’un des premiers États occidentaux à reconnaître la Chine. Les États-Unis l’ont fait en 1972. Le président Nixon y a accompli un grandiose voyage officiel. Ce fut celui des retrouvailles.
L’évaluation du yuan
En juillet 2005, Pékin délie sa monnaie du dollar américain. Il la laisse fluctuer selon un panier de devises. Le yuan s’apprécie de 2,1 %. Alan Greenspan, le président de la Réserve fédérale sous quatre présidents américains, Reagan, Bush père, Bill Clinton et Bush fils, déclare : « Je vois cela comme le premier pas d’une série d’ajustements à venir, au fur et à mesure qu’ils joueront un rôle de plus en plus important dans le commerce mondial [11]. Washington aurait souhaité plus d’audace.
Guerre Chine-États-Unis ?
Jean-François Susbielle fait cavalier seul sur un point. Il affirme que la lutte militaire à finir de ce siècle ne se déroulera pas entre les musulmans et les chrétiens, mais plutôt entre la Chine et les États-Unis. Les frictions actuelles avec les Arabes ne sont, d’après lui, que des préliminaires. Il invoque le dossier de l’énergie. Les États-Unis, dit-il, ont toujours maintenu la Chine dans un état de précarité à ce propos, ce que ce pays ne tolérera plus au XXIe siècle. Son livre, Chine-USA, la guerre programmée, est paru en 2006. Interviewé à Indicatif présent de Radio-Canada, il déclare le 15 avril 2006 en s’excusant de paraître alarmiste : « La Chine est d’ores et déjà une économie très puissante. Elle doit assurer la sécurité de ses approvisionnements énergétiques. Il y a quelque chose d’implacable dans la montée politique, militaire et géostratégique de la Chine. »
Jacques Attali, autre spécialiste français, penche au contraire en faveur de croire que les États-Unis sont en train de former avec la Chine un troisième G2 pour la gouvernance du monde. G2… G7, G8 ou G20 : on joue, avec des chiffres, pour désigner les États super leaders du monde. Le premier G2 fut, selon lui, les États-Unis et la Grande-Bretagne et le deuxième a été les États-Unis et l’URSS [12].
Confucius
La Chine a ressuscité Confucius, un penseur de son terroir, pour contrebalancer les influences de l’Occident. Le quotidien français La Croix [13] établit à 20 millions le nombre de musulmans en Chine. Wikipédia situait leur force à environ 30 millions en 1986, principalement chez les Huis dans le nord-ouest et les Ouïgours dans la province du Xinjiang au sud-ouest. Tous sont de descendance turque. On peut croire que l’État chinois sévirait avec fermeté si le djihadisme des musulmans se propageait sur son territoire, comme il le fait présentement en Asie et en Afrique.
Toujours selon La Croix, les protestants connaissent « un essor sans précédent » en Chine depuis une quinzaine d’années. Ils regrouperaient de 40 à 70 millions de fidèles. Les catholiques en forment de 10 à 12 millions, divisés entre les clandestins et les « officiels », associés au système politique mais en grande partie reconnus par Rome.
Le point de vue d’une voyageuse
Lysette Brochu, auteure et amie de l’Outaouais québécois, a eu la chance d’effectuer un voyage en Chine. De retour au pays, elle nous faisait parvenir en 2009 ses commentaires envoûtés sur ce pays d’enchantement. Avec sa permission, nous reproduisons ici une partie d’un courriel :
« Nous avons visité quasi toutes les places montrées dans ce diaporama, du temple du Ciel au cirque de Shanghai, des manufactures de soie aux plantations de thé, marché sur la Grande Muraille, mangé du canard laqué, senti les odeurs particulières des hutongs (les plus vieux quartiers), enfin admiré la nouvelle Chine bâtie sur l’ancienne. Découvrir la Chine, c’est un vrai voyage dans le temps. »
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La Chine nouvelle, bâtie sur l’ancienne ? Oui, en partie, c’est vrai. Elle continue d’imposer sa puissance en termes de dollars, de commerce, de yuans. Mais le ferait-elle d’une autre manière, que nous serions étourdis de l’ignorer. La Chine, avec un grand C, garde une attitude de sphinx et défie le monde. Personne ne peut, ni ne veut, se permettre de l’oublier.
- Ursula Gauthier, « Dix clefs pour comprendre la Chine », Le Nouvel Observateur. 31 juillet 2008, p. 11; Autre source : Bilan du siècle, Université de Sherbrooke, http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMAnalyse?codeAnalyse’750.
- Chine Nouvelle, 29 juin 2010. Chiffres du ministère chinois de l’Industrie et des Technologies de l’information.
- Cité par Jean Guisnel, « Big Brother en ligne », Le Point, 20 décembre 2007, p. 103.
- « La Chine défend sa censure du Web », Le Monde, 8 juin 2010.
- Agata Turbanska, « L’état actuel de la puissance militaire chinoise », 12 octobre 2008, http://perspective.usherbrooke.ca/bilan/servlet/BMAnalyse?codeAnalyse’750. Consulté 7 juillet 2010.
- Wikipédia, à « Corée du Nord, armée ».
- Agata Turbanska, op. cit.
- Jean-Vincent Brisset, La Chine, une puissance encerclée ? Paris, Institut de relations internationales, Presses universitaires de France, 2002, p. 107. Voir aussi Cai Chongguo, Chine : l’envers de la puissance, Paris, En clair Mango, 2005, 127, 128 et 131.
- Jean-François Dufour, La Chine au XXIe siècle. Entre promesses et défis, Toulouse, Les Éditions Milan, 2003, 28.
- Brisset, op. cit., p. 88.
- Hélène Baril, « La Chine fait un petit pas vers un taux de change flottant », La Presse, Affaires, 22 juillet 2005, p. 1.
- Jacques Attali, Demain, qui gouvernera le monde ?, Paris, Fayard, 2011, p. 228.
- « Cinq religions officielles en Chine », La Croix, 25 juin 2010. Consulté sur Internet.
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