On ne l’a pas vu sur le coup : l’Afghanistan lors de la guerre russe de 1979 à 1989 a servi d’école pour la formation militaire des premiers combattants islamistes, y compris Oussama ben Laden lui-même, fondateur d’Al-Qaeda.
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Un phénomène ne nous a pas sauté aux yeux tout de suite. Il s’est révélé plus tard. Les conséquences en demeurent aujourd’hui. Jusqu’à aujourd’hui les retombées de cette guerre se sont poursuivies. Une grande partie des forces islamistes, qui combattent à l’heure actuelle dans le monde, ont reçu leur initiation à la guerre dans les montagnes et steppes afghanes. Le terrain escarpé est propice à l’entraînement. D’autres guerriers, surtout parmi les plus récents, y sont passés pour se perfectionner dans les techniques de la guérilla.
Aux yeux des musulmans, les troupes soviétiques qui envahissent l’Afghanistan en 1979 sont des guerriers sans Dieu. Oussama ben Laden répond à l’appel de l’islam qui demande des volontaires en Afghanistan. D’autres l’imitent. Ben Laden, avec l’argent lui provenant de sa riche famille impliquée dans la construction lourde à Riyad, capitale de l’Arabie Saoudite, paye le voyage de plusieurs musulmans vers la zone de combat.
Ensemble, ils s’initient au maniement des armes modernes et aux techniques efficaces pour mener la lutte contre les armées modernes.
La guerre froide sévissait toujours. Washington, qui avait perdu la guerre du Vietnam, en conservait l’amertume. Il considérait que l’appui des Russes aux communistes de Ho-Chi-Minh avait amené la défaite des soldats américains en Asie. Alors, l’occasion s’est présentée en Afghanistan. La CIA a été fière d’équiper en armes – de toute première qualité – les moudjahidines qui se mesuraient aux puissantes forces de l’Armée rouge.
On appelle cette guerre russe en Afghanistan le « Vietnam de l’URSS ». Comme les Américains, les Soviétiques l’ont perdue. De là, vient le rapprochement que l’on fait par le nom.
Ce combat marqua l’apogée de la guerre froide, même si on a mis du temps à s’en rendre compte, selon Mahmood Mamdani. La CIA a mené en Afghanistan son opération paramilitaire la plus élaborée depuis le Vietnam; et l’URSS, sa plus longue guerre extérieure [1]. Les Afghans ont contraint les Soviétiques au retrait après dix ans de combat. Les Américains avaient dû de même s’avouer vaincus par les communistes du Viet-Minh.
En Afghanistan, les radicaux musulmans acquièrent la discipline et la stratégie. Ces premières heures se retrouveront ensuite sur d’autres champs de bataille, dans d’autres pays, où ils mettront à profit ces connaissances, sinon cette expertise. Ils ont bénéficié de ce qu’ils ont appris à Tora Bora (le lieu de la cachette de ben Laden). Ils se sont endurcis.
Le camp Borden
Risquons une comparaison avec tous les risques d’exactitude et d’inexactitude qui y sont associés.
En Ontario, le camp Borden est la plus importante base de formation des Forces armées canadiennes, située au sud-ouest de la ville de Barrie, au nord de Toronto. Ce fut la première base de l’Aviation royale canadienne en 1917, avant de devenir pendant la Deuxième Guerre mondiale le plus grand camp d’entraînement pour tous les militaires. Halifax, en Nouvelle-Écosse, Gagetown, au Nouveau-Brunswick, Valcartier, au Québec, Borden, en Ontario, et Shilo, au Manitoba, sont les cinq bases canadiennes les plus mentionnées. L’Afghanistan a joué le rôle de « camp Borden » pour les militants armés du djihadisme.
Les troupes canadiennes ont participé pendant 12 ans à la guerre onusienne en Afghanistan, déclenchée en 2001 par les États-Unis dans les semaines après le 11 septembre. Elles ne combattent pas en Irak de mars 2003 à 2013, faute d’une résolution du Conseil de sécurité de l’organisation internationale située à New York. Récemment, le Canada a accepté une requête du président américain Barack Obama pour que ses CF-18 se joignent aussi aux frappes occidentales contre les positions des rebelles de l’État islamique (EI) en Irak et en Syrie.
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Les Occidentaux ont formé les moudjahidines pour lutter contre l’Armée rouge. Ensuite, les conditions ayant changé, ces mêmes protégés d’hier sont devenus des radicaux à abattre dans d’autres pays. L’humoriste, coloré conteur et biologiste amateur Boucar Diouf résume que nous devons souvent combattre des problèmes que nous avons créés [2]. Ce n’est pas la première fois qu’une politique entraîne son propre retour de flamme.
Quatorze après la première intervention américaine d’octobre 2001, suite au 11 septembre, l’Afghanistan reste un pays déchiré, divisé, tout juste un peu moins morcelé que la Syrie et l’Irak toujours en état réel de guerre.
Surpris d’apprendre en septembre 2009 sa sélection officielle pour le prix Nobel de la Paix de l’année, le président Obama ironise en disant qu’il était aussi « le commandant en chef d’une armée » en train de se retirer d’Irak, mais engagée dans un conflit « avec des adversaires redoutables sur le terrain afghan »[3].
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Les Afghans sont de solides guerriers. Ils l’ont prouvé maintes fois par le passé. Hitler et les Britanniques avant lui n’ont pu conquérir ce pays.
[1] Mahmood Mamdani, Good Muslim, Bad Muslim, p. 120.
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[2] Boucar Diouf, « Cette Amérique qu’on aime détester », La Presse, 8 novembre 2914, p. A 35.
[3] Cf. Laure Mandeville, correspondante à Washington, « Un Nobel encombrant pour Obama », Le Figaro, 10-11 octobre 2009, p. 2.