Alors que l’État islamique et la guerre de Syrie représentent pour l’instant le défi le plus grave, huit Prix Nobel de la Paix ont été attribués en soixante ans pour le Proche-Orient sans avoir opéré le moindre rapprochement entre Israël et la Palestine.
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À la fin du Protectorat britannique, les pays voisins envahissent Israël le lendemain de la création de l’État hébreu, le 14 mai 1948, par la communauté internationale en amputant la Palestine d’une partie de son territoire. Pertes nombreuses, de part et d’autre : Israël profite des nombreuses trêves pour se renforcer. À la signature des accords d’armistice avec les différents États, entre le 23 février et le 20 juillet 1949, Israël a agrandi son territoire d’environ la moitié, soit de 14 000 à près de 21 000 kilomètres carrés1.
Sous la désapprobation des États-Unis y voyant un sursaut « d’impérialisme » des Vieux Pays, la France, la Grande-Bretagne et Israël envahissent l’Égypte après la nationalisation du canal de Suez en 1956 par le président Gamal Abdel Nasser. Le diplomate canadien Lester B. Pearson met fin au conflit en proposant d’interposer la première force internationale de « Casques bleus » de l’ONU pour séparer les belligérants.
Le futur premier ministre Pearson obtient le Prix Nobel de la Paix 1957.
À la troisième guerre, dite des Six-jours en 1967, les chasseurs israéliens détruisent au sol l’aviation égyptienne « en venant par l’ouest, où on ne les attendait pas, et non par l’est, ce qui eût été plus logique mais moins efficace »2. Israël occupe le Sinaï, la bande de Gaza (Égypte), la Cisjordanie (Jordanie) et le désert du Golan (Syrie). Cette défaite sonne le douloureux glas de la République arabe unie, constituée quelques années plus tôt par la réunion de l’Égypte et de la Syrie. Le président égyptien Nasser la dirigeait.
Les Israéliens ont-ils pu fêter trop fort leur très facile victoire des Six-Jours ? Les États arabes les envahissent pour la quatrième guerre à la fête juive du Yom Kippour à l’automne 1973. Les Arabes remportent les succès initiaux. Les Juifs se ressaisissent et obtiennent la victoire finale.
En 1978, le président égyptien Anouar al-Sadate et le premier ministre israélien Menahem Begin méritent ensemble le Nobel pour les Accords de Camp David menant à la signature d’un traité de paix entre leurs deux pays. Avec Israël l’Égypte signe ce traité à Washington en 1979. Les deux États se reconnaissent une frontière mutuelle. L’Égypte récupère le Sinaï. Mais Israël annexe le Golan en 1981 et Sadate sera assassiné à cette même époque par un ultra égyptien opposé à ce rapprochement avec l’État juif.
En 1994, l’Académie Nobel remet le Prix de la Paix conjointement à Yasser Arafat, de l’OLP, au premier ministre israélien Yitzhak Rabin et à son ministre des Affaires étrangères, Shimon Peres, pour les Accords d’Oslo. Par ceux-ci Israël et de la Palestine expriment une volonté de se reconnaître et d’établir des relations. Tout comme Sadate plus tôt, Rabin succombera dans l’année aux mains d’un extrémiste israélien adversaire de ce geste.
Comme à contre-courant, comme pour désavouer la politique de confrontation menée par le président George W. Bush3 à l’égard des Arabes après le 11 septembre, en 2002 cet honneur du Nobel échoit à l’ex-président américain Jimmy Carter. Il le reçoit avoir mis en marche vingt-quatre ans plus tôt les Accords du Camp David dont nous avons parlé.
En 2009, le président Barack Obama, à peine élu, se le voit attribuer d’entrée de jeu en raison de sa main tendue envers le monde arabe.
Le contexte laïc versus religieux
Depuis l’échec de Nasser, à l’exception du colonel Muammar Kadhafi de la Libye (eh! oui, lui…), du volubile Saddam Hussein de l’Irak (et encore très faiblement aujourd’hui du président Bachar el-Assad de Syrie), tous les leaders arabes ou musulmans à tenir tête à l’Occident ont été des religieux ou des radicaux islamistes, à commencer par l’ayatollah Khomeiny en Iran en 1979. Nasser reste de loin la meilleure incarnation du panarabisme.
De ce mouvement véhiculé par le parti Baas, fondé à Damas en 1947, il ne reste aujourd’hui que des symboles étiolés. Il visait à réaliser l’unité des Arabes sur la base de la race, et non de la religion. Il s’agissait d’un « étonnant et détonant mélange de nationalisme, de socialisme et de laïcité », écrit Christian Makarian de L’Express[4].
Les promesses britanniques de 1915 et 1917
On peut remonter encore plus loin dans les corridors et méandres de la diplomatie : à deux engagements pris par les Britanniques au cours de la Première Guerre mondiale. Les Arabes auraient voulu que l’Occident concrétise une déclaration de 1915 de sir Henry McMahon, alors haut-commissaire en Égypte, à l’effet que le Royaume-Uni consentirait à la naissance d’un grand État arabe au Moyen-Orient, « excluant certains districts à l’ouest de Damas, Homs, Hama et Alep ». Que signifient ces mots ? Comprenaient-ils ou non la Palestine ? Grande question ! Elle reste irrésolue.
Au contraire, les Alliés, vainqueurs de la Deuxième Guerre mondiale, restent émus par la mort de six millions de Juifs sous Hitler. Ils matérialisent après la guerre une promesse faite en 1917 par lord Balfour, ministre britannique des Affaires étrangères, dans une lettre privée à lord Walter Rothschild, banquier et réputé zoologiste de Londres. Cette promesse était de créer un foyer national pour le peuple juif en Palestine, avec le respect des autres communautés établies (ital: 5). Ils amputent la Palestine d’une partie de son territoire. Ils espéraient que continue une certaine cohabitation. L’afflux massif de Juifs crée plutôt un sentiment de dépossession chez les Arabes.
Pearson, Sadate, Begin, Peres, Rabin, Arafat, Carter et Obama : huit hommes d’État en tout, cela forme tout un éloquent cortège. Et la « paix » n’existe toujours pas au Proche-Orient ! On peut soutenir que ce n’est guère utile, ni profitable, de soulever la poussière de ces lointains souvenirs.
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Mais peut-être l’explication des quelques points précédents aidera-t-elle à comprendre pourquoi tant de sommets sur le Proche-Orient avortent aujourd’hui, après avoir commencé avec espoir.
1. Le Monde Diplomatique, Alain Gresh et Dominique Vidal, Les 100 clés du Proche-Orient, nouvelle édition, Paris, Fayard, 2011, extraits.
2. Balta, Iran-Irak. Une guerre de 5000 ans, Paris, Éditions Antipropos, 1987, p. 125.
3. AFP, « Un Prix Nobel anti Bush ? », Belgique, La Libre, 11 octobre 2002. Consulté sur Internet.
4. Christian Makarian, « La Syrie est la pièce essentielle de l’échiquier arabe », L’Express, 30 mars 2011, p. 41.