Coincé entre les États-Unis au sud, première puissance mondiale aux 311 millions d’habitants, et au nord la Russie, de 146 millions et pays le plus vaste, le Canada se sent un « complexe d’infériorité » avec ses 34 millions de citoyens répartis dans un énorme territoire. Le site Wikileaks n’a rien découvert lorsqu’il a sorti ce scoop pour médias intéressés en 2010.

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Le Canada carbure depuis cinquante ans à l’atout de ses ressources naturelles, pétrole de l’Ouest et hydroélectricité du Québec, pour maintenir son rang parmi les pays fortunés du G8. Un Livre blanc du gouvernement Trudeau conseillait aux Canadiens en 1970 de monnayer leurs ressources naturelles pour garder leur indépendance et leur haut niveau de vie en cette ère où l’on prévoyait une « forte demande d’énergie et d’autres richesses ». Astucieusement, on a plusieurs fois l’impression que le Canada laisse les États-Unis se tracasser de propos « mineurs + tels que le bois d’œuvre, le porc, le camionnage ou l’importation de bœuf canadien en espérant qu’ils oublient de penser au pétrole, à l’électricité et à l’eau potable : des enjeux autrement plus importants.

Le premier ministre Pierre Elliott Trudeau a immortalisé, en 1969, une formule au National Press Club de Washington : « Être votre voisin, c’est comme dormir avec un éléphant; quelque douce et placide que soit la bête, on subit chacun de ses mouvements et de ses grognements. »  Et le 1er octobre 2000, l’émission radiophonique Dimanche Magazine de Radio-Canada affirmait « que c’est Trudeau qui a permis au Canada de devenir officiellement un État indépendant »1. Sans renier ses mères-patries, la France et l’Angleterre, le Canada a diversifié son économie vers l’Asie et l’Amérique latine avant que la Chine ne se révèle le miracle économique de 1980. Le libre-échange de l’Amérique du Nord s’est étendu jusqu’au Mexique. La mondialisation a aboli d’autres frontières.

Précédé par la Russie, le Canada est le deuxième pays du monde pour la superficie. Il est suivi dans l’ordre par la Chine, les États-Unis et le Brésil.

Souveraineté sur le Nord

Le dégagement de nouvelles terres exploitables en raison du réchauffement de la planète l’obligera peut-être à défendre sa souveraineté sur le Nord dans un proche avenir.

La Russie, sa grande voisine du nord, a fait d’Arthur Tchilingarov un héros national en 2007. Au fond de l’océan Arctique, ce dernier est allé planter un fanion en titane dans cette zone du pôle Nord présumée riche en pétrole et en gaz naturel. Les Canadiens ont mis en doute la valeur de son expédition. « Qu’il (votre pays) gagne déjà un match de hockey ! », leur a riposté Tchilingarov à la blague. Sur un ton plus humain, il décrit sa déchirante expérience : « Vous avez la peur au ventre quand vous descendez à 4 200 mètres de profondeur dans un sous-marin de poche avec des glaces susceptibles de se refermer au-dessus de votre tête2. » La Russie d’aujourd’hui, tout autant que l’URSS d’avant 1991, s’opposerait à une forte concentration militaire américaine dans le Grand Nord. Et les États-Unis apposeraient leur veto à la situation inverse.

L’Histoire

Depuis la Conquête anglaise de 1763, les États-Unis ont tenté à deux reprises de conquérir le Canada : en 1775, au début de leur Guerre d’indépendance, et ensuite en 1812-1813; deux tentatives vouées à l’échec. En résultante, on a construit le canal Rideau entre Ottawa et Kingston pour pouvoir acheminer des troupes de Montréal ou de Toronto advenant une nouvelle agression. En 1845, la Grande-Bretagne et les États-Unis se disputent à propos de la frontière de l’Oregon avec le Canada. Le démocrate influent John L. O’Sullivan affirme alors pour les Américains dans le New York Morning News du 27 décembre

… le droit de par notre destinée manifeste de nous étendre et de posséder tout le continent que la Providence nous a donné.

« Notre destinée manifeste » a servi ensuite de cri de ralliement pour la conquête de l’Ouest et celle du Texas.

L’armée canadienne a combattu indistinctement au sein de l’armée de l’Empire britannique à la Première Guerre mondiale. Elle a eu son autonomie et son commandement propres lors de la Deuxième Guerre vingt ans plus tard. En octobre 2001, le premier ministre Jean Chrétien a accepté que le Canada participe à la guerre contre les talibans en Afghanistan. En 2003, il a exposé au président américain George W. Bush que le Canada déjà engagé dans la guerre en Afghanistan ne pouvait par sa taille se permettre de participer à celle en Irak.

La guerre en Afghanistan

La situation militaire pour notre pays en Afghanistan s’est modifiée du tout au tout – certes pas améliorée ! – quelques années plus tard lorsque nos forces armées ont été déplacées de la capitale assez sécuritaire, Kaboul, vers la province de Kandahar : le fief des talibans. C’est là qu’ont commencé les pertes sérieuses, les mines artisanales, les attentats à la voiture piégée et même, dans un cas, un attentat-suicide à la bicyclette piégée.

Nous pouvons supposer qu’une entente tacite a eu lieu entre le gouvernement Bush et le nouveau gouvernement conservateur de M. Stephen Harper à Ottawa. Une entente du genre : « Nous (Américains) comprenons que vous ne pouvez pas vous engager en Irak. Mais, s’il vous plaît, prenez une part plus large au combat en Afghanistan afin que nous puissions dégager une partie de nos troupes pour les réaffecter en Irak. » Cela n’a rien changé à la longue ni dans un pays ni dans l’autre.  À Kandahar, Ce n’est plus une mission de paix, mais la guerre à tous points de vue. La participation canadienne au combat s’arrête en juillet 2011. Le rapatriement définitif des troupes se termine en mars 2014[3].

La glorification du passé militaire

En s’appuyant sur le bicentenaire de la guerre américaine de 1812-1813, le premier ministre Harper a essayé de raviver le patriotisme militaire au Canada, avec un succès nettement plus mitigé au Québec.

Au plébiscite national de 1942 pendant la Seconde Guerre mondiale, 83 % des Canadiens anglais se prononcent pour la conscription et 76 % des Québécois contre. « Jamais l’ancienne division de race ne s’est inscrite d’une façon aussi vibrante que sur ces bulletins », écrit Bruce Hutchison, historien canadien-anglais respecté et biographe de Mackenzie King[4].

En renversant sa position non-interventionniste dans les conflits étrangers, le président américain Barack Obama crée en septembre 2014 une coalition pour ralentir par des frappes aériennes l’avance de l’État islamique (EI) en Syrie et en Irak. Le Canada a accepté de se joindre le 7 octobre à cette opération[5].

Le 20, un militaire canadien est assassiné près de sa caserne à Saint-Jean-sur-Richelieu. Le 22, c’est un autre djihadiste qui tue un soldat montant la garde près du cénotaphe d’Ottawa et pénètre ensuite au Parlement canadien où il trouve la mort au cours d’un échange de coups de feu. Et le 7 janvier 2015 suit l’attaque contre Charlie Hebdo avec ses 12 morts à Paris.

Il est impossible de ne pas relier les deux premiers événements à la décision canadienne prise pour les frappes aériennes en Irak et Syrie. Et impossible de dire aussi qu’ils n’auraient jamais eu lieu sans cette intervention. Le djihad actuel des extrémistes musulmans est mondial. Comme les oncologues disent, une fois que le cancer s’est généralisé, il importe peu de savoir où il a commencé.

Lawrence Cannon, ministre canadien des Affaires étrangères, avait déjà affirmé à l’été 2010 après un des deux premiers attentats éventés contre le parlement fédéral : « On n’est pas à l’abri du terrorisme. On pense souvent que c’est quelque chose qui se fait à l’étranger. Le Canada n’est pas à l’abri et d’ailleurs Al-Qaeda a déjà ciblé le Canada[6]. »

Le Canada, à une époque récente, s’est glorifié d’avoir inventé le BlackBerry (grâce à Research in Motion, de Waterloo, en Ontario) qui a prospéré pendant proche d’une décennie avant qu’Apple ne lance son iPhone. Le Canada vit les tensions d’une sécession possible au Québec. Il se fait reprocher sa façon de traiter ses Premières Nations. Il a traversé plutôt bien que mal les soubresauts de la crise financière mondiale de 2008. Ce sujet nécessite toutefois encore une surveillance continue. La situation mondiale a tellement changé avec l’Internet, les médias sociaux et le libre-échange que maintenant il est ardu de trancher ce qui est mondial et ce qui ne l’est pas. Cette question se pose malheureusement sur plusieurs points !

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Peut-être devons-nous admettre que, davantage que notre inutile frousse existentielle du 1er janvier de l’an 2000, ce qui est arrivé à minuit ce jour-là ce fut la fin d’une civilisation. A débuté, une contestation de celle-ci venant tant de l’intérieur que de l’extérieur. Le 11 septembre 2001 fut le premier coup de poing qui dérangea toutes les pièces du jeu de l’ordre ancien.

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[1]. « Le Canada à l’heure de la planète », Archives de Radio-Canada, pour Dimanche Magazine, consulté sur Internet.

     [2[. « La conquête du Pôle au nom de Poutine », Le Point, 20 novembre 2008, p. 36.

     [3].  Canada, Défense nationale, « Les Forces armées canadiennes en Afghanistan – Chronologie de la mission ». Sur Internet.

     [4].  Bruce Hutchison, [easyazon_link identifier= »0195438906″ locale= »CA » tag= »germaindion-20″]The Incredible Canadian: A Candid Portrait of Mackenzie King[/easyazon_link], Toronto, Longmans Green, 1952, p. 308.

 

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     [5].  Marie Vastel, « EI : le Canada entre en guerre », Le Devoir, 8 octobre 2014, consulté sur Internet.

    [6].  Joël-Denis Bellavance, « Révélations chocs », La Presse, 27 août 2010, citée à la p. A 3.