Au lieu de la fermeture annoncée, la société Gesca, filiale de la montréalaise Power Corporation, a vendu ses six journaux régionaux au Groupe Capitales Média dirigé par l’ancien ministre libéral Martin Cauchon.
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C’est une bonne solution dans les circonstances en ce qu’elle sauve des emplois de journaliste et qu’elle permet d’améliorer et de structurer une présence culturelle dans les régions. C’est sûr que la presse écrite et parlée traverse des jours difficiles à cause d’Internet. L’origine du combat émane de la lutte avec celui-ci pour garder les gros sous de la publicité payante, celle qui permet à la télévision d’acquitter les frais de sa coûteuse programmation et aux journaux de publier.
Télévision et Internet : un duel
Dans un langage imagé, M. Alan Sawyer, spécialiste des médias et consultant chez IBM Canada, mettait en garde en 2006 les télédiffuseurs contre les « Kool Kids » : les plus jeunes, nés avec la dernière technologie, et possédant l’outillage et les connaissances pour choisir à la lettre tout leur contenu visuel et supprimer toutes les pubs. Ils néantisent la dépense des annonceurs. M. Sawyer suggérait aux télédiffuseurs de rendre davantage de leurs émissions disponibles sur Internet et d’en indexer le contenu pour faciliter le repérage lors des recherches. Il s’adressait, au printemps 2006, à un parterre de prestige au Centre Mont-Royal comprenant, aux premières rangées, MM. Sylvain Lafrance, vice-président des services français de Radio-Canada, et Pierre Karl Péladeau, alors président de TVA et de Québecor. Le magazine Infopresse avait organisé cette rencontre1.
La presse écrite
La presse écrite tâte de toutes les formules. Le Figaro français annonçait le 4 décembre 2009 une entente de collaboration : reproduire, chaque vendredi, dans son édition papier une sélection d’articles et d’éditoriaux du New York Times. Il signalait ainsi la perspective :
Nous avons au Figaro une conviction commune avec le New York Times. Il est possible de sauvegarder dans le futur la place des grands quotidiens d’information dans la sphère médiatique à condition de s’inscrire délibérément dans la révolution Internet2.
Similairement, à Montréal, La Presse + numérique depuis quelques mois diffuse le dimanche dans son format tablette une brochette d’articles du Paris Match français.
La radio, enfant pauvre ?
La radio, car il y eut plusieurs guerres des Anciens et des Modernes, ne joue plus le rôle historique qu’elle a rempli au Québec durant la crise d’Octobre 1970. (Gilles Proulx reconnaît qu’elle a été « la charnière où s’articulera l’évolution de cette crise politique »3.) Moindre est-il encore, ce rôle, que celui qu’elle a exercé lors de la crise du verglas au début de 1998. Le premier ministre québécois Lucien Bouchard et le président d’Hydro Québec, M. André Caillé, renseignaient les sinistrés sans chauffage par une émission radiophonique quotidienne sur l’état de la crise. Par contre, Anne Lagacé Dowson, journaliste bilingue de Montréal en anglais à CJAD et en français à la Première Chaîne de Radio-Canada, estime que la radio a mieux traversé les dernières années que les autres médias4.
Internet a rendu énormément de choses réalisables. Il a créé un nouveau style de reportage, ouvert le blog à tous, et permis illico des vérifications qu’il fallait une demi-journée pour faire autrefois et qui rendent les articles plus précis. Pourvu qu’ils soient extrêmement courts ! Il ne faut jamais plus pécher par la longueur ! Mais Internet et la télévision comportent aussi leurs défauts.
L’instantané fuit le profond
Outrepassant la forme, pour aboutir au fond, Jean Lacouture, biographe du général De Gaulle et du président François Mitterand, accordait à 91 ans une entrevue à Paris Match à l’occasion de la parution d’un livre sur sa très longue carrière dans la presse : Le tour du monde en 80 ans, par Stéphanie Le Bail. Ses paroles nous aident à comprendre l’évolution parcourue :
Je suis dans l’Ancien Régime, répond-il, comme un vieux marquis ! Aujourd’hui, le journalisme est devenu très oral, très audiovisuel. Moi, j’en suis resté aux petits carnets, aux notes. Maintenant, ça va très vite5.
Nicole Bacharan, historienne et politologue française, craint que le dépeçage « extra-rapide + de l’information ne rende la presse « plus vulnérable » au risque de diffuser « sans avertissement de petits reportages fournis directement… par le gouvernement ». Elle dénonce d’un ton vif les blogs et talkshows radio incendiaires, « où informations et rumeurs circulent sans distinction » 6. Toutefois, erreur pour erreur, la presse écrite a largement commis les siennes par le passé. De toutes, la plus dure à battre reste celle du colonel Robert R. McCormick. Propriétaire du Chicago Tribune, et républicain bon teint se fondant sur un dépouillement très partiel, il annonce à la une en novembre 1948 la victoire de Thomas Dewey à la présidence américaine – quand en réalité ce fut le président démocrate sortant Harry S. Truman qu’on a réélu !
Pour l’instant, je crois que la décision de continuer à publier les six journaux régionaux constitue une victoire personnelle pour le journaliste Pierre Allard qui, depuis le début, a milité contre la fermeture papier de ces six (et qui y a même perdu son poste d’éditorialiste invité au journal Le Droit d’Ottawa). Les cinq autres bandeaux de la cohorte sont : Le Soleil de Québec, le Quotidien de Saguenay, Le Nouvelliste de Trois-Rivières, La Tribune de Sherbrooke et La Voix de l’Est de Granby
Habile de la part de Gesca, heureuse pour les régions, les journalistes, cette vente à un tiers nouveau apporte un rayon d’espoir pour ceux qui souhaitent que l’écrit et le numérique puissent continuer à subsister de pair, comme avant.
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Momentanément, les tenants de l’écrit ont remporté une manche sur les adversaires prêts à jeter par allergie toute forme de papier à la poubelle comme un honteux vestige du passé, encore que ce gain sera à surveiller.
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[1]. Nicolas Ritoux, collaboration spéciale, « 2012, l’année où la télé est morte », La Presse, cahier Actuel, 19 avril 2006, p. 4. (Heureusement, ce n’est pas arrivé !)
[2]. Étienne Mougeotte, « Bienvenue au New York Times », Le Figaro, 4 décembre 2009, p. 1.
[3]. Gilles Proulx, L’aventure de la radio au Québec, Montréal, Éditions La Presse, 1979, p. 93.
[4]. Nathalie Collard, « Anne Lagacé Dowson. Un trait d’union entre deux cultures », La Presse, cahier Arts et spectacles, 27 janvier 2011, p. 9.
[5]. Valérie Trierweiler, « Jean Lacouture témoin de notre temps », Paris Match, 20 septembre 2012, p. 29.
[6]. Nicole Bacharan, Faut-il avoir peur de l’Amérique ?, Paris, Seuil, 2005, p. 71,
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