Libraires, éditeurs, distributeurs et auteurs se sont longtemps interrogés sur les défis de l’avenir pour eux. Eh bien ! ils commencent à avoir des réponses.
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Une standardisation s’est opérée, mais elle est incomplète. Le livre traditionnel résiste assez bien – peut-être mieux même que ses adversaires ne le pensaient. Des habitudes se prennent et des conversions se font vers le livre numérique.
Personnellement, je vous confesse ma préférence pré-existentielle et prioritaire pour le livre en papier et sa persistance, fût-elle-même simultanée à d’autres formats. Au fond, je me rallie à l’opinion, très sensée, de l’éditorialiste Mario Roy dans La Presse du 16 mars 2002, en réplique aux défenseurs acharnés du livre en papier :
« Dans le même temps, il est ridicule de diaboliser les autres supports. L’Internet, par exemple, vu comme le nouvel ennemi du livre, est devenu B et de loin B le principal pourvoyeur de connaissances, même scientifiques, même pointues. »
Quelque quatre ans plus tard, Alain Brunet émettait, dans le cahier des Arts du même journal, l’opinion que le changement se produira avant la fin de la présente génération, car « l’écrit fait face au déclin imminent de l’imprimé…» «L’écrit fut le premier contenu portage du monde physique, il sera le dernier à basculer dans le monde virtuel »[1], ajoutait-il. L’écrit, sauf erreur, prend lentement le tournis de la disparition.
Le livre traditionnel
Les amateurs de l’écrit préfèrent goûter la saveur d’un nouveau livre. Ils ouvrent les pages, tâtent le papier, apprécient de palper la fibre et en dégustent presque la senteur. Pour les livres de documentation, ils peuvent prendre des notes en marge et corner des pages, ce que le livre numérique ne permet pas. Le livre traditionnel se conserve. Il se donne infiniment mieux que son concurrent électronique.
Les transformations vitales de l’histoire se sont amorcées autour du livre : la Bible, les écrits de Hobbes, Joan Locke, Montesquieu, Jean-Jacques Rousseau, Kant, Hegel et Karl Marx. Le livre a été le premier moyen stable de transmission des connaissances. L’histoire de l’imprimerie constitue un véritable roman. Dans les monastères, les moines copiaient à la main les livres et ciselaient les ornements d’une calligraphie, trop magnifique, trop admirable, trop parfaite et trop lente, pour conduire à une distribution de masse. Gutenberg invente la typographie moderne vers 1440. Il utilise des caractères mobiles fondus en alliage, selon des connaissances acquises par les Chinois. La diffusion de masse commence au XIXe siècle. Beaucoup plus tard, on passe au procédé offset au moyen d’une presse rotative avec un rouleau de caoutchouc reproduisant sur le papier de destination les caractères encrés d’une feuille de zinc ou d’aluminium. L’impression récente au laser découle des courants électriques. Ils forment les lettres sur un tambour métallique ultrasensible. Cette impulsion attire l’encre.
Le livre numérique
L’année 2006 a été une charnière dans la phase d’évolution du livre électronique. Apple n’avait pas encore lancé son iPad, Amazon s’apprêtait dans les deux mois à envahir le marché avec son Kindle et le Sony Reader existait depuis un an[2]. Ne pouvant y assister elle-même, Mme Monique Bertoli, directrice générale des Éditions du Vermillon à Ottawa, m’a délégué pour assister à l’atelier de l’Association nationale des éditeurs de livres (ANEL) sur le livre numérique à l’auditorium du Centre d’archives de Montréal. J’y suis arrivé un peu en Esquimau au centre d’une grande ville. Je remercie Mme Bertoli de m’avoir fourni cette occasion d’apprendre. Mme Stéphanie Chevrier, directrice littéraire chez Flammarion, disait ce 25 septembre que le livre « actuel » demeurera et que la version numérique intéressera les spécialistes, tentés d’en savoir plus sur l’auteur, sa biographie, sa publication présente et son œuvre, les commentaires, entrevues et critiques qu’elles ont engendrés. Invité de France, M. Bruno Rives est venu expliquer comment le support électronique de la version e-paper (sic) de son journal, Les Échos, permettait avec bonheur de lire les livres de Flammarion et de quelques éditeurs. Une difficulté ? À ce moment-là, on se demandait si les lecteurs accepteraient de débourser pour acheter des supports multiples, advenant que chaque éditeur ait le sien.
Link a rapproché physiquement la version électronique de la version papier [3]. Il y a eu le PDF. Il est apparu d’autres logiciels, dont ePub et Kindle, depuis dix ans. Après le déboursement initial pour l’achat du support, les livres électroniques subséquents se vendent à un peu moins de 80 % du prix du format en papier, en français, et avec un rabais beaucoup plus substantiel pour les livres anglais.
Je connais au moins quatre lectrices, Mireille Lapalme, Catherine Rooney, Monique K. et Lyne L., qui se sont converties au livre numérique. Le livre électronique s’apprécie pour son format compact. Pour les voyageurs, c’est un avantage majeur. Mireille apprécie de l’apporter dans les salles d’attente lors de ses nombreux rendez-vous médicaux. « Le problème, émet-elle, est que, depuis que j’ai la liseuse, on m’a donné tellement de boîtes de livres que j’ai moins le temps de m’en servir. » Catherine est une grande voyageuse et une avide lectrice. Le livre électronique ne surcharge pas les bagages en avion. Elle en aime « la légèreté de poids, c’est facile de tourner les pages ». Elle dit que, dorénavant, elle va opter « en faveur d’acheter un livre numérique, de préférence à un livre régulier ». Grossir les caractères constitue une précieuse option pour ceux que l’opération des cataractes guette.
Il ne se vendait pas pour rien autrefois, et encore aujourd’hui, des livres large vision pour les personnes handicapées de la vue. On peut maintenant grossir le format littéraire pattes de mouche, grâce à un simple petit bouton.
Si le livre électronique se généralise, comme certains le souhaitent, il faudra concevoir une façon de faire les références. Le numéro de page disparaît (sauf en mode PDF), vu que liseuse donne aux textes le format et la dimension choisies par la police de chaque lecteur. On pourra aussi faire les citations en référant au numéro de paragraphe, au plan avec divisions décimales : l.2.1, 1.2.2, 1.2.3… (s’il y en a), ou par numéros de chapitre et de versets, comme pour la Bible.
Popularité du livre numérique
À cause de la désuétude, les statistiques valent ce qu’elles valent à ce moment-ci. Le livre numérique comptait pour moins de 1 % des ventes, selon un reportage de TVA [4] diffusé le 18 novembre 2011 en rapport avec le Salon du livre de Montréal. S’appuyant sur un rapport du CEFRIO, Centre favorisant la recherche et l’innovation dans les organisations, le télédiffuseur affirmait que les ventes de livres numériques sont « un marché anémique ». Selon la même source, 7,8 % des adultes québécois ont téléchargé un livre numérique en 2010. Chez les internautes les plus férus, le pourcentage s’élevait à 9,5 %.
Le CEFRIO regroupe 150 membres universitaires, industriels et gouvernementaux ainsi que 60 chercheurs associés et invités. Il s’autofinance à 64 % et reçoit 36 % de son budget du ministère du Développement économique, de l’Innovation et de l’Exportation. Les chiffres précités sont ceux d’un marché en organisation. La revue québécoise Protégez-vous a analysé à la même époque les liseuses et les tablettes électroniques. Elle conclut que les grands lecteurs auront un penchant vers la liseuse et que les utilisateurs de multimédias préféreront la tablette. L’actualité (ital: ce mot), dans son numéro du 1er mars 2012, consacrait son article de fond à l’engouement exceptionnel pour la tablette, style iPad et autres versions. Le précieux outil captive jusqu’à une clientèle plus âgée.
Quelques bibliothèques municipales offrent maintenant la location de livres numériques. Le problème du « retour » des volumes ne se pose plus. Il existe une clef qui empêche de prolonger indéfiniment le prêt du livre B et de le copier.
En français, une réduction de prix favoriserait la vente du livre électronique, me répètent sans cesse mon fils et quelques autres personnes. Les rabais sont beaucoup plus substantiels en anglais. Certains attribuent le prix élevé du livre papier à l’impression ainsi qu’aux conditions des contrats distincts liant l’auteur, l’éditeur, le distributeur et le libraire.
Publicité au XXIe siècle
La publicité traditionnelle pour les annonces de marque entraînait deux conséquences : « implanter une idée nouvelle dans votre cerveau — hé ! vous devriez avoir envie de dépenser votre argent pour ce truc »; et «perturber intentionnellement votre expérience de téléspectateur ou de lecteur » [5]. La publicité sur Internet ajoute désormais le versant de ce que pensent « vos amis » (Facebook) ayant acheté et testé l’objet ou le gadget que vous désirez acquérir. C’est plus que le plaidoyer d’un comédien réputé vantant les mérites de telle marque, de telle commodité ou de tel produit. La publicité devient personnalisée. Elle dépasse le stade d’une recommandation abstraite.
Ventes en ligne
La vente en ligne procure une option merveilleuse pour les chercheurs (et faiseurs) d’achats d’occasion; les chasseurs de souvenirs, d’écussons sportifs, d’électronique vintage, ou de cartouches d’encre pour un modèle périmé d’imprimante laser.
Statistiques
Attention à la date de nouveau ! Le commerce électronique a connu une hausse de 27 % en 2002 et une de 43 % en 2004, pour un total de 19,1 milliards de dollars. Les entreprises privées fournissaient 97 % des ventes, les sociétés publiques, une mince fraction. Du nombre des répondants, 47 % des entreprises ont indiqué que leurs produits ne se prêtaient pas à ce commerce. Près de quarante pour cent du temps, les compagnies favorisées comportaient plus de 500 employés [6]. Les fervents des achats en ligne apprécient leur chance de faire des transactions sans se déplacer. Une majorité de clients et de clientes succombera au contraire à la « tentation du miroir », Elle passera donc au magasin pour essayer la robe, le pantalon ou le costume et se faire un nom avec une ou une commis… plutôt que de commander en ligne. Malgré tout, eBay nous donne quand même une idée de ce que sera ce super magasin général numérique omnia. Et, dans les livres et quelques autres produits apparentés, on pourrait citer Amazon.
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Revenons encore au livre. Le livre en papier résiste bien. Mais les gens critiquent la lourdeur et les prix du système actuel. Le livre a de la concurrence.
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[1]. Alain Brunet, « Au tour du papier ? », chronique sur la cyberculture, La Presse, Arts Spectacles, dimanche 7 mai 2006, p 6.
[2]. Bibliothèques et Archives Canada, Le livre sonore et l’édition de livre électronique (2008), Partie II : Aperçu du marché canadien, www.collectionscanada.gc.ca/isbe/005002-2130-f.html.
[3]. Bibliothèques et Archives Canada, Ibid.
[4]. http://tvanouvelles.ca/lcn/economie/archives/2011/11/20111118-114552.html.
[5]. David Kirkpatrick, La révolution Facebook, Paris, JC Lattès, 2010, p. 352.
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[6]. « Commerce électronique et technologie », Ottawa, Statistique Canada, avril 2004.