Les États-Unis d’Amérique traversent une période de questionnement existentiel dont ils se demandent quelle sera la fin et ils vivent cette incertitude avec une grande nervosité.
Un phare de la démocratie
Le messianisme, ils l’ont d’abord inscrit dans leur Constitution de 1787. Ils prétendent avoir défini une forme de gouvernement valable pour tous les pays et pour tous les temps. Ce n’est qu’après qu’ils ont consigné leur succès à la Bourse et, depuis 1945, agi comme plénipotentiaires dans un monde auquel ils avaient d’abord voulu tourner le dos avec la Doctrine Monroe. Leur trouvaille, les Américains auraient voulu l’exploiter jalousement chez eux et se dissocier de toutes les querelles du Vieux Monde, de l’Europe. Ils ont rompu avec cette mentalité à la Première Guerre mondiale mais, sans conteste et beaucoup plus, pendant et après la Seconde.
Les États-Unis ont créé la Constitution américaine et la Constitution américaine a créé les Américains. Les États-Unis s’imaginent le phare de la démocratie. Ils se désolent de voir que l’ONU n’engendre plus le sacro-saint respect qui l’entourait alors qu’elle était le club des vainqueurs de la guerre en 1945. L’institution internationale s’est élargie, elle est moins dominée par l’Occident. Si les premiers « Casques bleus » étaient des gardiens de la paix, aujourd’hui les forces internationales qu’on crée sont des armées en guerre et il est reconnu qu’on peut leur tirer dessus, qu’elles doivent défendre chaque mètre de leur terrain contre l’ennemi.
Les Américains souffrent d’une certaine ingratitude mondiale parce qu’ils ont voulu donner beaucoup, du moins à leur point de vue, mais qu’on a mal compris leur geste sinon qu’on leur a souvent fait payer le prix de leur naïveté. Donner peut s’entendre ici au sens d’imposer. Il y a eu des missions de paix américaines qui ont été désastreuses. Celle en Somalie, en 1992, fut la pire. Les marines ont débarqué sur la plage, précédés par les caméras et les projecteurs qui les attendaient. Ils se sont retirés en catastrophe et avec des airs de défaite un an plus tard. La Revue historique des armées émet l’opinion que ce fut la première opération internationale où l’ONU a voulu procéder à une imposition de la paix plutôt qu’à un maintien de la paix, comme depuis 1956[1].
Nous croyons même que cet échec surpasse celui de l’Irak, où il y a eu plus de morts certes, mais où la mission à assumer était beaucoup plus considérable qu’en Somalie.
Sus au socialisme!
Le socialisme n’a jamais eu bonne presse au pays d’Apple, IBM, Exxon, Microsoft et de Walmart. Pendant le débat sur l’assurance-maladie améliorée du président Barack Obama, à entendre ce qu’on a dit du « Medicare » canadien c’était comme si nous nous promenions tous au Canada avec une jambe ou un bras coupé – faute de défendre avec assez d’énergie les vertus de la libre entreprise. Les États-Unis sont carrément le pays de cette philosophie.
De retour de San Francisco, je me rappelle avoir fait la première partie du trajet en avion jusqu’à Chicago avec une citoyenne mariée de Californie qui se rendait voir sa parenté à Grand Rapids, Michigan. Elle m’a longtemps questionné sur notre système d’assurance-maladie canadien. Elle voulait en savoir plus sur celui-ci. Elle s’estimait mal protégée même par celui des États-Unis, même amélioré par l’Obamacare.
La mondialisation
Du messianisme, du libéralisme et de la démocratie, les États-Unis ont perdu une partie de leurs titres de défenseur à la chute de l’URSS en 1991. Ensuite, la mondialisation les a obligés à se mesurer à la Chine tandis qu’ils n’avaient ni le nombre d’habitants ni les salaires excessivement bas de cette super puissance asiatique. Les États-Unis ne défendent plus l’Occident démocratique contre le communisme de Moscou. Il est devenu de bonne guerre de les attaquer. Les changements sociaux, la chute des valeurs, le recul de la chrétienté, le réveil de l’islam, une radicalisation naissante, Internet et les médias sociaux ont changé toute la donne dans notre monde essoufflé et ouvert comme un grand village à toutes les informations. Facebook, Instagram et Twitter compliquent l’exercice du pouvoir. Atteindre un consensus se révèle aujourd’hui plus ardu. L’opinion s’émiette davantage. La notion de compromis a disparu avec l’intransigeance du Tea Party.
En 1995, Jeffrey Madrick, chroniqueur au magazine Harper’s, écrivait dans l’essai « The End of Affluence », que le principal adversaire des États-Unis est le souvenir de la gloire exceptionnelle de leur passé. Il affirmait que ses compatriotes américains passeront à côté des solutions efficaces tant qu’ils se méfieront d’un monde qui ne leur garantit plus le même gain économique rapide qu’auparavant. Jeffrey Madrick recommandait cette année-là à ses compatriotes de « (ne pas) abandonner nos idéaux politiques les plus chers ». Bon patriote, il ajoutait : « Pendant toute notre histoire, nous nous sommes crus un peuple choisi, soutenu par notre croissance constante[2]. »
Après leur échec au Vietnam, les Américains ont connu les attentats très meurtriers du 11 septembre 2001 sur leur sol, les décevantes interventions militaires en Afghanistan et en Irak qui ont suivi et la crise financière de 2008, dont on essaye si lentement de sortir. On monte en flèche les moindres signes de reprise sous la forme d’une baisse du chômage alors que les taux d’intérêt restent infiniment bas même si on cible de les hausser au plus tard le début de 2016. Tout cela amène les Américains à s’interroger sur leur solidité et leur invincibilité; des questions qu’ils n’aiment pas.
En passant, toute réponse que l’on fournira à cette question pour les États-Unis affectera de la même manière le Canada. Nous leur sommes liés par notre très longue frontière, par la culture, les loisirs, les voyages, la Floride l’hiver, les exportations et la défense qu’ils assument en premier lieu.
Quelques fois, oh ! très rares certes, les États-Unis se demandent s’ils ne disparaîtront comme les empires oubliés de l’Amérique d’autrefois : Mayas, du sud du Mexique, Aztèques, dans la région de Cancun toujours au Mexique, et les Incas, au Pérou, qui ne subsistent plus que par un nom dans les livres d’histoire.
Hors de l’Amérique, dans l’Antiquité, Nabuchodonosor II le Babylonien (Irakien aujourd’hui) et les Perses (nos Iraniens), ces derniers même à deux reprises soit aux (VIe-IVe siècles av. J.-C. et aux IIIe-VIIe siècles apr. J.-C.), ont connu leurs heures de gloire. Ils ont formé des empires qui ont chu dans la déroute. Tous ces empires disparus ont laissé une architecture, une orfèvrerie, un structure d’État et parfois un réseau routier qui impressionnent les touristes.
« Mané Thécel Phares…»
Washington n’est pas encore au stade du Mané Thécel Phares de la Bible. Ces mots [pesé, compté, divisé] avaient été tracés par une main invisible au haut d’un mur pendant un banquet du roi babylonien (irakien) Balthasar pour lui signifier qu’il allait mourir le soir même. Cette scène du Livre de Daniel a inspiré Rembrandt. Nicola Bertuzzi, peintre italien, l’a aussi reproduite et sont tableau Le Festin de Balthasar (sic), daté d’environ 1760, se trouve à présent au Musée du Louvre après avoir fait partie des œuvres d’art sans propriétaire récupérées de l’Allemagne nazie.
Les États-Unis peinent à trouver la nouvelle voie qui les assurera de continuer d’avancer. Le pays vit ses contradictions : intégrer sa minorité noire, hispanique, et peut-être bientôt musulmane. En cinquante ans, il se pourrait que les États-Unis ne soient plus un pays à majorité blanche.
Le problème des Noirs traîne depuis cent cinquante ans. Sauf le programme d’assurance-maladie améliorée, le président Barack n’a apporté autant qu’on attendait pour l’améliorer. Chaque petit pas a été bloqué, de A à Z, par un Congrès hostile.
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Les Américains demandent une garantie d’éternité. Que nous le voulions ou non, nous ne pouvons pas la leur donner. Leurs défis internes et externes sont nombreux.
[1]. Anne-Claire de Gayffier-Bonneville, « L’intervention en Somalie 1992-1993 », Revue historique des armées, no 263, 2011, p. 92-103, publiée en PDF et citée au paragraphe 25. Consultée sur Internet.
[2]. Jeffrey Madrick, The End of Affluence, New York, Random House, 1995 p. 159 et 163.