Le pont de Londres aurait pu symboliser le très sérieux référendum du Brexit du 23 juin 2016, au Royaume-Uni, selon qu’après le vote le tablier reste levé ou baissé à la continuation de la vie commune avec l’Union européenne.
*
Eh bien ! le tablier est resté levé, les Britanniques ont décidé de couper les liens avec Bruxelles. Mise à jour du 24 juin : ils on rejeté de l’Europe par 52-48 % avec une division régionale qui a surpris au Royaume-Uni, Londres, l’Écosse et l’Irlande décidant massivement de rester dans l’UE. L’Écosse a réclamé aussitôt un deuxième référendum sur son indépendance. Le premier ministre anglais a remis sa démission, mais Jeremy Corbyn le chef des travaillistes restera. L’assassinat de la députée travailliste Jo Cox, le 16 juin, par un « Britain first » a finalement moins influé que prévu sur le vote tout autant que les pressions conjuguées du président Obama, de Justin Trudeau, de la Banque d’Angleterre, du FMI, de l’OCDE et d’à peu près tout ce que le monde comportait d’autorités économiques.
Brexit, c’est « Br(itish) et exit ». Nikel Farage, leader du parti europhobe Ukip prônant le retrait, raille le FMI, l’OCDE de faire partie de « toute une série d’organisations internationales remplies de gens surpayés qui pour la plupart ont échoué dans leur carrière politique ».
Le Tower Bridge
Symbole de Londres, le Tower Bridge a été construit en 1882 pour prévoir à toutes les possibilités. Si la partie inférieure se lève pour laisser passer les bateaux, les piétons peuvent emprunter les deux passerelles supérieures reliées au sommet des tours. Le Royaume-Uni aura besoin de toute sa flexibilité pour négocier sa rupture avec l’UE.
Un homme d’affaires, John Mills, fondateur de JML dans le télémarketing (mais qui cotise au Parti travailliste), est pour le « Leave » parce que l’Europe d’aujourd’hui a changé.
L’ex-maire de Londres, Boris Johnson, prône la sortie. Le premier ministre David Cameron, tout aussi conservateur que lui, recommandait de continuer à voguer dans l’UE, son ministre des Finances, la Banque d’Angleterre et le parti travailliste aussi. Les petites entreprises ont fait connaître leur position en faveur du oui à la sécession. Les grandes entreprises désirent continuer de s’aligner avec la politique européenne de Bruxelles. (Ci-contre, Jo Cox, la députée travailliste assassinée.)
La Grande-Bretagne a décidé d’adhérer à l’UE en 1993 en ratifiant le traité de Maastricht. Mais elle garde six ans plus tard sa livre sterling, n’adhère pas à la zone euro.
Les Britanniques étaient habitués à tout contrôler à partir du sanctuaire de leur île, à contrôler le monde au temps de l’Empire. L’UE laisse subsister les anciennes souverainetés à côté de la nouvelle créée. De là, l’Europe a connu nombre de traités de renégociation, pour plaire à tel ou tel pays, réussissant d’habitude à sortir la balle du golfeur de chaque « trou de sable » où elle était tombée.
Le chômage, issu de la crise de 2008, la grogne politique, l’ébranlement causé par la crise des migrants et le terrorisme peuvent avoir accentué la méfiance de la fière Albion à l’égard du continent: souvent, son ennemi d’hier. S’il y a un perdant à ce référendum ? Ce sera le premier ministre britannique David Cameron. Il pourra difficilement garder son poste advenant, le 23 juin, la rebuffade d’un non. Alors, le populaire ex-maire de Londres, Boris Johnson, pourrait s’offrir comme un aspirant sérieux pour le remplacer. Mais le vote est encore éloigné d’. Et, s’il y a un gagnant, à un oui massif pour la sécession ? Il sera en Europe. Ce sera l’Allemagne dont la primauté sera désormais libérée de subir le contrepoids des États-Unis, via Londres.
« En 1975, affirme-t-il, j’étais pour la Communauté économique européenne, mais à l’époque, ce n’était pas la même Europe. Il n’était pas question d’accueillir 500 000 immigrants par année. Il n’était pas question de toutes ces réglementations. Il n’était pas de l’euro. (1)
De fait, la CEE était une association d’États assez lâche.
Le gouvernement britannique, le Trésor, le FMI et l’OCDE et la plupart des banques font campagne en faveur du rejet de la sécession. « Notre conclusion est sans équivoque. Le Royaume-Uni est bien plus fort au sein de l’Europe et l’Europe est bien plus forte avec le Royaume-Uni comme moteur », affirme Angel Guerria, secrétaire général de l’OCDE. ( Julien Miville, AFP à Londres, Le Devoir, 28 avril 2016, B 1, pour les deux dernières citations.)
L’OCDE prédit que le PIB du Royaume-Uni reculera de 3 % s’il vote oui à la sécession. Cela se traduirait par une perte annuelle de 2500 livres (4100 $CAN) par foyer et croîtrait d’ici 2020 à 3200 livres (5258 $CNA) ou à un recul de 5 %, par rapport au statu quo. L’OCDE envisage un deuxième scénario encore pire. Les adversaires nient tous ces pronostics.
Pour le bien de l’Europe ?
Et il y a enfin un troisième clan. Il souhaite le départ de l’Angleterre de l’Europe pour que celle-ci ait la chance de se développer en toute indépendance et sans toujours sentir l’épée de Damoclès d’un retrait du Royaume-Uni au-dessus des épaules.
Martin Poëti, d’Ottawa, titulaire d’un doctorat en théologie de l’Université de Montréal, affirme dans une libre opinion au Devoir que ce départ anglais servirait l’Europe, car « la Grande-Bretagne ne sera toujours qu’un cheval de Troie américain en Europe ». (« La Grande-Bretagne n’appartient pas à l’Europe », Le Devoir, 18 avril 2016, A 7.)
Le Brexit du 23 juin posait infiniment de questions. La façon dont les Anglais répondront modèlera sans doute l’avenir autant du Royaume-Uni que de l’UE.
Dernière mise à jour : 5 novembre 2016
LES PHOTOS : (l) le Tower Bridge au tablier levé; (2) Nikel Farage, le chef du parti Ukip pour le oui; (3) le premier ministre britannique David Cameron; (4) une des passerelles supérieures du Tower Bridge, pour les piétons.
Notes
(1) Christian Rioux, « Au royaume du Brexit (3 de 4). Choisir entre l’Europe et… le reste du monde !, Le Devoir, 31 mai 2016, A 1, cité à la p. A 10.
(2) Lean McLaren, « A little help from a friend. How Obama’s anti-Brexit campaign brought out the worst in its opponents », Maclean’s, 9 mai 2016, p. 34.