« Ils ne mouraient pas tous, mais tous en étaient frappés…» – Fables de La Fontaine, « Les animaux malades de la peste »

Le premier ministre libéral Jean Chrétien s’attribue le mérite de nous avoir évité une flambée immobilière à l’américaine lors de la crise financière de 2008-2009.

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Le lobby de fusion des banques en 1990

Il l’aurait fait en refusant de céder au puissant lobby en faveur de la fusion des banques canadiennes pendant les années quatre-vingt-dix. L’adjectif puissant n’a rien d’extravagant. Les banques disposaient d’énormes fonds pour faire valoir leur point de vue. Voilà ce qu’il a déclaré au chroniqueur parlementaire Gilbert Lavoie du Soleil de Québec. Le journaliste Lavoie avait sollicité de lui une série d’entrevues pour l’aider à rédiger une biographie de M. Jean Pelletier pendant longtemps son chef du cabinet personnel au parlement d’Ottawa, mais auparavant maire de la ville de Québec [1]. Ce livre a depuis paru.

Le Canada a donné en 2008 l’impression d’être un phare au milieu de l’océan déchaîné. Par les fenêtres ouvertes, entraient toutes les mauvaises nouvelles économiques en provenance des États-Unis et du monde. Le Canada a su résister à tous ces tsunamis. Il n’a pas perdu trop de plumes. Après avoir frappé les États-Unis, la crise a affecté ensuite l’Europe, la Chine, le Japon, l’Asie. Aux États-Unis, comme en Europe, elle a eu un ressac, un an après, alors qu’on croyait que les pays commençaient à s’en sortir.

Le système bancaire canadien est différent de celui des États-Unis. Les banques d’envergure se comptent sur les doigts de deux mains. La surveillance est plus étroite, plus rigoureuse. Le gouvernement fédéral y met davantage son mot.

Cela n’a pas empêché tout gonflement dans le prix des maisons. Les propriétés résidentielles 150 000 à 200 000 $ à Toronto, Calgary et Vancouver sont passées à entre 500 000 $ et un million (Montréal a été un moins frappé, Ottawa est entre les deux.) Nos banques ont acheté du papier corrompu comme les autres. Il y a eu des pertes dans les régimes de retraite, le désarroi de personnes âgées, l’écroulement de plusieurs fortunes et de nombreuses réactions de désespoir.

La SCHL

La Société canadienne d’hypothèques et de logement a pris quelques initiatives critiquables. Le gouverneur de la Banque du Canada lui a demandé de les révoquer.

David Dodge s’est inquiété de l’amortissement des prêts hypothécaires porté de 25 à 35 ans, puis à 40 ans, afin de faciliter la vente des maisons. Visant les jeunes acquéreurs d’une première maison, qui la revendent fréquemment au bout de quelques années, il a objecté que ceux-ci n’avaient pas le temps d’acquérir une partie de capital du prêt hypothécaire. La SCHL ramène l’amortissement 40 à 35 ans, à 30 ans, puis enfin à 25 ans, comme naguère, le 9 juillet 2012. Elle rétablit en outre le dépôt initial de 5%.

Les banques américaines ont causé la crise financière de 2008. Elles prêtaient avec excès sur les propriétés. Le jour où cette valeur a décru, la crise a éclaté : d’où, la faillite de banques, de sociétés de garantie, des pertes en Bourse, un stoppage de l’économie, des fermetures d’entreprise, du chômage et la perte d’emplois.

Vu sur Yahoo : à Détroit, l’ancienne ville reine de l’auto, des maisons se sont vendues pour 6 000 $ !

La Réserve fédérale américaine (Fed) abaisse, le 17 décembre 2008, son taux directeur à 0,25 % sur les prêts consentis à l’État par les banques. Il s’agit d’un ridicule rendement de 2,50 $ l’an sur un prêt de 1000 $. Le même mouvement se communique au Canada, ce qui ne surprend guère.

La Fed espérait convaincre les banques américaines de recommencer à prêter aux particuliers et aux industries en obtenant d’eux un meilleur profit que ce que l’État leur versait. Le Lapin n’a pas voulu mordre à la carotte. Ou il a tardé avant de consentir à y toucher.

Le cas de l’automobile

Dans l’automobile, la situation se présente d’une façon identique des deux côtés de la frontière : au Canada comme aux États-Unis. Un partisan aussi convaincu du libéralisme que le président américain George W. Bush est devenu « keynésien + pour ses quatre derniers mois à la Maison-Blanche. L’industrie de l’auto symbolise l’aisance et le prestige des États-Unis à l’étranger. M. Bush n’a pu se résigner à la laisser tomber et il lui a versé une aide spéciale de l’État, aux derniers mois de son second mandat.

Le président démocrate Barack Obama, en arrivant au pouvoir en 2009, continue et maintient cette politique. Même si un coût de 775 milliards de dollars US taxera le pouvoir public américain pour les deux prochaines années, il argumente : « Mais il est tout aussi certain que ne pas en faire assez, ou ne rien faire du tout, conduirait à un plus grand déficit d’emplois, de revenus, et de confiance dans notre économie [2]. »

GM et Chrysler ont remboursé en vitesse leurs prêts d’urgence reçus de Washington.

L’une ni l’autre ont mis plus de temps à racheter la partie « argent public » que l’État avait souscrite dans leur capital-actions.

Pour et contre l’aide publique

La plupart des gouvernements, les syndicats et la gauche ont défendu alors l’aide publique. La droite et l’extrême-droite la pourfenden. Rares sont les opinions modérées chez les adversaires de l’État providence. Jim Rogers, co-fondateur du fonds Quantum, milliardaire américain de naissance et résidant actuel de Singapour, écrit que l’idée de régler une période de surconsommation et de prêts excessifs par d’autres recours aux mêmes formules « me paraît tout simplement ridicule »[3].  Eric Sprott, gestionnaire torontois jurant par la valeur or, réprouve dans les mêmes termes l’apport extraordinaire venant des pouvoirs publics [4]. Et Jean-Paul Gagné écrit, dans l’hebdomadaire québécois Les Affaires : « Le Royaume-Uni a survécu à la mort de son industrie automobile. Les États-Unis pourraient se remettre de la perte d’un des trois grands [5]. » Les positions sont très tranchées.

Keynes et Milton Friedman

Adam Smith (1723-1790) a fourni à l’Angleterre l’armature de sa révolution industrielle du XIXe siècle. Il scandalisa le romancier Charles Dickens. Les programmes publics ont fleuri chez nous sous l’influence des libéraux du gouvernement Trudeau et de John Kenneth Galbraith (1883-1946). Ce dernier était un économiste canadien, disciple de John Maynard Keynes, né à Iona Station dans le comté d’Elgin en Ontario, docteur ès science de l’Université de Californie, et décédé à la fin d’avril 2006 à Cambridge au Massachusetts à l’âge vénérable de 97 ans. Il était devenu citoyen américain en 1938.

Les adversaires des keynésiens relèvent la tête au milieu des années 1970. Ils opposent que la Grande dépression de 1929 allait de toute manière se résorber sans le coûteux New Deal du président américain Franklin D. Roosevelt et que celui-ci a été inutile. Prix Nobel d’économie en 1976, Milton Friedman est né en 1912 à New York. Il enseigne à l’Université de Chicago. Il prône le retour à un État amaigri. Il devient le conseiller du président Ronald Reagan aux États-Unis, de la première ministre Margaret Thatcher en Angleterre et avec une moindre intensité du premier ministre canadien Brian Mulroney. Le mot privatisation remplace désormais le mot étatisation. On privatise ce qu’on s’excuse d’avoir étatisé auparavant.

Si le gouvernement du Parti Québécois et celui fédéral du premier ministre Pierre Elliott Trudeau ont contribué à l’étatisation, ils n’ont pas été les seuls. En Ontario, les conservateurs du temps des Leslie Frost, John Robarts et Bill Davis – les « vrais » conservateurs, avant l’ultra Mike Harris –,  ont souscrit pendant très longtemps à  l’électricité étatisée, sans s’en plaindre. Tous les pays se félicitaient alors d’avoir leur société aérienne nationalisée. Ils s’en faisaient une gloire personnelle. Et l’assurance maladie au Canada nous vient du Nouveau Parti démocratique de la Saskatchewan, dont le premier ministre T.C. Douglas était un sympathique et très humain pasteur protestant. Il devint chef du Nouveau parti démocratique canadien à sa création.

Néolibéraux et néoconservateurs

Contrôle de l’inflation par la politique monétaire, gestion des conflits via l’Organisation mondiale du commerce, une nouvelle entité qui a remplacé le GATT, et ouverture sans limite de toutes les frontières nationales : néolibéraux et néoconservateurs souscrivent ensemble aux mêmes.

Les néoconservateurs, types du président républicain George W. Bush et de son vice-président Dick Cheney, prônent en plus que les États-Unis ont le droit de se servir de la force pour imposer la démocratie à l’étranger.

Le Canada s’est tiré honorablement de la crise financière en dépit de quelques peccadilles commises, et pour lesquelles il a demandé pardon, comme « l’âne » dans la fable. On lui a accordé l’absolution même plus facilement qu’à l’animal exécuté. Le Canda a profité de ses ressources pétrolières, d’un règlement plus strict, sans doute un peu de l’ancienne sagesse britannique et il est un pays plus petit. Se peut-il enfin que la dame Chance lui ait tout simplement souri ?

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Tout ce que le Canada espère, c’est que la même chance continue à le servir. Il frémit chaque fois que le prix des ressources naturelles, du pétrole, diminue.


 

[1].  Le titre du livre publié est Jean Pelletier : Combattez en face. Extrait d’entrevue de Jean Chrétien paru dans La Presse, samedi 11 avril 2009, cahier Plus Forum, p. 5. Jean Pelletier était décédé le 10 janvier 2009.

[2].  « Obama promet 1000 dollars aux ménages américains pour dégripper l’économie », selon AFP, consultée sur Yahoo le 10 janvier 2009.

[3].  « Chasing bonds rally is a terrible mistake  : Jim Rogers » (Reuters), consulté sur le site de CNBC.US.

[4].  Hugo Fontaine, « L’éteignoir de Bay Street », La Presse, Affaires, 5 octobre 2009, p. 1.

[5].  « Un sauvetage, ça se mérite », Les Affaires, 5 décembre 2008, p. 10.